FABRIQUER UNE ANNEXE EN BOIS
L'annexe, le dinghy, le youyou, l'esquif, la barque, ...
Quel que soit le petit nom que vous lui donnerez, ne négligez pas le choix de cet équipement qui sera peut-être le plus important après le choix du bateau lui-même !
Si vous passez plus de temps au mouillage qu'à la marina, vous utiliserez votre annexe quasiment tous les jours : pour aller au rivage, ramener vos invités à bord, aller faire les courses, explorer les baies voisines, plonger ou pêcher,...
Il existe un nombre infini de marques et surtout de modèles parmi lesquels il n'est pas toujours facile de se retrouver. En 5 ans, nous avons déjà eu 4 annexes différentes !
Si nous sommes loin d'avoir trouvé LA solution idéale, nous pouvons néanmoins vous soumettre quelques conseils et vous présenter le dernier modèle vers lequel nous nous sommes orientés et qui nous l'espérons durera plus longtemps que tous les précédents réunis !
Le choix de l'annexe répond à trois principaux critères :
- le BUDGET: occasion ou neuf? pvc ou hypalon ? Charles Oversea ou Zodiac ?
- l'USAGE : nombre de membres d'équipage à transporter ? petits trajets entre le voilier et la terre ou longues explorations des environs ? moteur 2.3 ou 30 cv ? Climat chaud ou froid?
- l'ESPACE de RANGEMENT sur le voilier : C'est indéniablement le critère le plus important et donc le premier à considérer. De ce critère dépendront les choix de la taille de l'annexe, du matériau, du modèle, de la motorisation que vous pourrez lui associer.
Lorsque vous naviguez, il n'est pas prudent de laisser votre annexe en remorque à l'arrière du bateau, même pour une navigation de moins de 24h. Les conditions météo peuvent changer rapidement et en plus de gérer les voiles et la barre, il faudra gérer l'annexe qui risque de se décrocher.
Il est donc important de pouvoir ranger l'annexe à bord, et que la manoeuvre pour la hisser à bord puis la remettre à l'eau soit aisée puisque vous serez amené à la répéter souvent !
Selon votre bateau, vous pourrez la stocker soit sur le pont, soit le long du mât, soit à l'arrière accrochée aux bossoirs,... il y a autant de possibilités que de bateaux différents mais il faut s'assurer que l'annexe ne gène pas les voiles et leurs écoutes ni le déplacement d'un équipier sur le pont, qu'elle reste hors de l'eau même lorsque le bateau gîte, qu'elle ne soit pas une prise au vent importante.
Nous avons fait une succession de mauvais choix avec nos trois premières annexes :
Mauvais choix n°1 :
Nous avons acheté une première annexe d'occasion (Zodiac) pensant faire des économies. Nous l'avons très vite baptisée "Rustine" tellement nous lui en avons collé un peu partout pour réparer les fuites des boudins. Puis le tableau arrière qui supporte le moteur a fini par se décrocher. Après à peine 6 mois de pas très bons et loyaux services, nous nous sommes résolus à racheter une annexe neuve.
Mauvais choix n°2 :
Nous avons racheté une annexe souple à fond rigide amovible (3.70 Charles Oversea), trop grande pour être stockée à bord sans la dégonfler et la démonter entièrement. Ce rangement fastidieux nous a incité à la laisser à la traîne lors d'une navigation de nuit entre les îles des Canaries. A cause de la houle, les caoutchoucs qui tenaient les anneaux de l'annexe auxquels étaient attachés nos bouts de remorquage ont cédé pendant la nuit... Au petit matin, "Rustine 2" avait disparu au milieu des flots. Elle avait à peine 1 an...
Mauvais choix n°3 :
Un peu en urgence, nous avons racheté une annexe aux Canaries (Typhoon Bombard), souple à fond rigide amovible mais plus petite que la précédente ce qui nous a permis de la stocker à l'avant entre le mât et la trinquette sans avoir à la démonter. Malheureusement, malgré le taud de protection anti-UV que nous lui avions confectionné, après 2 ans sous le soleil des Antilles les colles du boudin avant ont lâché, et malgré de nombreuses tentatives la fuite n'a jamais pu être réparée.
Las de ces problèmes récurrents de fuite des boudins et de panne de moteur, nous avons décidé de nous orienter vers une solution plus radicale...
Cela faisait déjà quelques temps que nous avions vu fleurir en Martinique et à Carriacou des petites annexes à voile, le plus souvent en bois. D'abord un brin amusés et admiratifs de ces jusqu'auboutistes de la voile qui continuent à tirer des bords même au mouillage, nous avons progressivement envisagé la possibilité d'acquérir ce type d'annexe, et la fuite prématurée de "Rustine 3" a précipité notre choix.
Jean-Luc a décidé de construire lui-même notre nouvelle annexe.
Si l'expérience vous intéresse, voici son récit de la fabrication de cette annexe.
Après m'être renseigné sur des forums (STW), j'ai commandé sur le site "B&B yacht design" les plans d'une annexe SPINDRIFT 11 NEST (66 $ US).
Cette annexe à voile longue de 11 pieds (3,35 m) a la particularité de se démonter en deux morceaux qui s'emboitent l'un dans l'autre pour prendre moins de place une fois rangés sur le pont du bateau.
Une fois les plans réceptionnés (31 janvier 2019), quelques heures de traduction des notices et des plans et quelques heures de visionnage de vidéos sur Youtube ont été nécessaires.
J'ai également passé plusieurs jours à réunir tout le matériel nécessaire : bois en contreplaqué marine, bois plein, résine et toile époxy.
Outre la matière première, prévoyez également :
- Un grand stock de gants jetables (gants médicaux moins chers que gants de bricolage).
- Un grand stock de langues de chat en bois pour faire le mélange résine/silice (matériel para-medical aussi).
- Un rouleau à buller pour chasser les bulles dans la fibre de verre.
- Beaucoup de papier à poncer dans différents grammage.
- Une combi étanche pour poncer la résine.
- De l’acétone pour nettoyer les outils .
- Du fil de fer pour l’assemblage de la coque au début.
- Une boîte de vis en complément des serre joints.
La construction de l'annexe a commencé le 13 févier 2019.
1. Dessin des plans sur le bois
C'est une étape qui nécessite de la minutie si l’on ne veut pas s’y reprendre plusieurs fois et gaspiller du bois. (1-2 jours)
2. Découpe du contreplaqué à la scie sauteuse
La difficulté réside dans la découpe précise avec la scie sauteuse qui zigzague, mais on ne peut pas le faire à la scie circulaire car il y a des formes courbes. Mieux vaut couper 1mm de plus que trop petit ! Il faut prévoir beaucoup de serre-joints (au moins 10) de toutes les tailles.
Pour la découpe du bois plein, Je l'ai fait faire par un menuisier car il s’agissait de grandes longueurs (bome, listons, bords) et qu’il fallait une scie circulaire.
3. Réalisation du berceau (dont le plan est également fourni)
Facile et rapide (env. 1h)
4. Assemblage des morceaux (env. 15 j)
a. La coque à bouchains
On assemble le flanc au fond bâbord et le flanc au fond tribord uniquement par la pointe (avec une bande de fibre). On pose bâbord et tribord l’un sur l’autre. On perce des trous tous les 15 cm sur tout le contour des fonds et sur le bord inférieur des flancs. On relie par du fil de fer les fonds tribord et bâbord. On redresse l’ensemble et on ouvre la forme. On lie chaque flanc avec chaque fond par du fil de fer. On rajoute la poupe en la fixant avec le reste de la même manière.
On fait de la résine mélangée à de la silice (pour donner de la consistance) et on en remplit les angles (=congés). On attend 24h que ça sèche. Comme j’avais mal découpé la proue, j’ai du utiliser plus de résine que prévu.
On retire les fils de fer et on rebouche les trous avec de la résine pour finir l’assemblage.
On pose de la toile (mat de verre) avec de la résine dans les angles pour consolider l’ensemble (1 couche).
b. Partie centrale où l’on va couper l’annexe en deux
On fixe deux planches de contreplaqué au milieu de la coque avec de la toile et de la résine, sans les fixer entre elles et en plaçant un carton de l’épaisseur de la lame de la scie qu’on utilisera pour couper le bateau en deux.
c. Puit de dérive
On assemble (résine et toile) le coffrage du puit de dérive en contreplaqué et bois dur.
d. Coffre avant
On assemble les deux planches du coffre avant (qui sert de flotteur) avec de la résine et de la toile. A l’aplomb du coffre avant, au centre de l'avant du bateau, on colle (résine) les unes sur les autres trois petites planches carrées dans lesquelles on a découpé un triangle pour la planche inférieure et deux cercles pour les planches supérieures. On colle le triangle et les cercles évidés des trois petites planches sur le pied du mât, pour que cette semelle s’emboîte dans la cale et évite au mât de tourner.
e. Coffres arrière qui servent de flotteur
Pour s’en servir comme coffres également, j’ai rajouté une cloison à la moitié et un bouchon couvercle ( que j’aurais du mettre sur les flancs et pas sur les sommets car ce n’est pas parfaitement étanche quand il pleut).
f. Renforts
On colle à la résine des renforts en bois sur sur le tableau arrière de la poupe pour pouvoir supporter le poids du moteur hors-bord.
g. Listons
On ajoute les listons (rebords supérieurs) en bois plein que l’on a fait découper en quatre longueurs de 4 m environ par 7 mm d’épaisseur pour chaque côté, de manière à obtenir une fois les quatre planches collées les unes aux autres (résine) une épaisseur de 30 mm environ. (La courbure du bateau oblige de travailler avec plusieurs épaisseurs fines pour pouvoir les plier). C’est à cette étape qu’on aura besoin de beaucoup de serre-joints (ou à défaut comme ce fut mon cas des cales en bois et des vis).
h. On fixe des renforts dans les angles de la proue et poupe avec du bois dur, de la résine et des vis. Ce sera le seul endroit où il y aura des vis.
i. On perce les planches centrales pour faire les trous des 5 vis qui serviront à assembler le bateau.
j. La fausse quille
On rabote une longue baguette de bois dur d’environ 2 m et large de 20 mm pour qu’elle épouse les contours de la coque (au plus épais elle mesure 5 cm environ à l’arrière jusqu’à 1 cm environ à l’avant) et on la fixe (toile et résine) le long du centre de la coque du bateau.
On perce le puit de dérive.
On coupe le bateau avec une scie à bois de bonne qualité.
On avait 1 barque, on a maintenant 2 morceaux !
5. Fabrication des pièces indépendantes :
a. La dérive
Elle est constituée de plusieurs tasseaux de bois dur qu’on dispose en croisant les veines de bois (pour donner plus de force) et qu’on assemble à la toile et résine.
b.Le safran
Il est constitué de 3 épaisseurs de contreplaqué assemblées à la toile et à la résine.
c. La barre
Longue d’1 m environ, elle est en bois dur que l’on ponce pour lui donner une forme courbe et douce. Elle est ensuite recouverte de résine.
Les deux sont reliés par un boulon qui sert d’axe pour permettre au safran de se relever.
d. La bome
En bois plein, d’une seule longueur de 2,60m et recouverte de résine.
e. Le banc
Il est constitué d’une planche de bois dur qu’on toile et résine.
f. Le mât
Dans le manuel, les fabricants préconisent d’utiliser plusieurs sections d’aluminium qui se réduisent au fur et à mesure. J'aurai utilisé plusieurs sections de mât de planche à voile de récup, en fibre de verre et en carbone.
6. Toilage (au moins 2 jours, temps de séchage inclus)
On met de la toile (1 couche) et de la résine (1 ou 2 couches jusqu’à ce que ce soit bien lisse) sur tout l'extérieur de la barque.
Les angles droits sont difficiles à toiler sans faire de bulles. Pour résoudre ce problème il faut couper des petits morceaux et poser la toile en biais.
7. Ponçage
8. La peinture
On recouvre l’intérieur et l’extérieur avec deux couches de peinture époxy.
J'ai ajouté le nom de l'annexe au pochoir.
Le bateau est prêt à mettre à l’eau !
Le 14 mars 2019, j’ai amené les deux morceaux de bateau à la plage, je les ai assemblés, j’ai mis le bateau à l’eau et ça flottait !
Je l’ai rempli d’eau (ce qui n’a pas manqué d’intriguer les touristes sur la plage qui ont du me prendre pour un fou) pour voir si les caissons étanches remplissaient bien leur rôle de flotteurs, et ça flottait toujours !
Enfin, je suis parti faire un essai avec le moteur (le poids d’un moteur de maximum 4cv peut être supporté), et suis revenu amplement satisfait du résultat !
Si l'annexe a tout de suite apporté une totale satisfaction dans son utilisation à la rame ou au moteur, on a mis plus de temps à réussir à tirer nos premiers bords à la voile.
Le mât était trop court (je n’avais pas respecté les côtes du plan et j'avais fait avec la taille du mât de recup’ soit 4,75 m au lieu des 5,75m) et du coup la voile était également mal conçue. J'ai trouvé une pièce pour rallonger le mât.
Sur les conseils du voilier du Marin en Martinique, j'ai mis du négatif dans la chute de la voile (ce qui évite de mettre des lattes si j'avais rajouté du positif), j'ai rajouté un fourreau le long du guindant pour enfiler la voile dans le mât jusqu’au point d’amure, j'ai remonté la bordure vers le point d’écoute pour éviter de se prendre la bome dans la tête.
J’ai donné une forme de goutte à la dérive (plus large à l’avant, plus étroite à l’arrière, avec des courbes) en la ponçant à la disqueuse et en m’aidant d’un gabarit en carton pour vérifier de temps en temps la forme. J’aurais du le faire au moment de la réalisation de la dérive, mais je n’avais pas trouvé comment m’y prendre.
(J’ai du retoiler et re-résiner la dérive après l’avoir profilée.)
Grâce à ces modifications, j'ai réussi à tirer les premiers bords dans la baie de Port Antonio en Jamaïque !
LE BILAN
Les + :
- les plans très clairs et faciles à comprendre de B&B yacht design.
- des vidéos YouTube qui documentent la fabrication d'un autre modèle que le mien (Spindrift Nest) mais selon le même système de construction.
- Un montage/démontage plus rapide que le gonflage d'une annexe souple.
Les - :
- La proue, mal découpée, j’ai du rajouter pas mal de résine pour corriger l’erreur.
- Les ouvertures des coffres que j'aurais dû mettre sur les côtés pour éviter que la pluie ne rentre dedans.
- La recherche de matériel a été assez compliquée parce que j'étais en Guadeloupe et que sur une île il y a moins de choix. Ce n'était pas facile de trouver de la résine époxy de bonne qualité à un bon prix qui ne soit pas en stock depuis trop longtemps et qui ne s’abime pas avec l’air marin.
Ajouts personnels :
- des cloisons pour faire un placard dans les coffres arrière.
- des encoches pour ranger les rames.
- une baguette inox vissée sur la fausse quille pour la protéger quand on beach sur autre chose que du sable.
- des protections (frites en mousse habillées par du tuyau de pompier) tout autour de l'annexe pour éviter les chocs.
Le résultat :
CONFORME au modèle décrit dans le manuel, excepté le poids, un peu plus lourd qu’annoncé (au moins 60 kg au lieu de 45kg) soit parce qu’ils se sont trompés soit parce que j’ai mis plus de résine que prévu.
Le coût :
2045 € de matériel mais le fait que j'ai tout acheté sur une île aux Antilles majore d'au moins 1/3 le coût total de l'ensemble des matériaux.
- EPOXY : Résine + Silice + Tissu + Durcisseur + Acétone + Diluant + Doseurs = 743€ soit 36% du budget total.
- MATIÈRE PREMIÈRE : Plans papier + Contreplaqué marine + Bois plein + Barre inox + Main d'oeuvre menuisier = 715€ soit 35 % du budget total.
- ACCASTILLAGE : Rames + Dame de nage + Manille + Vit de mulet + Poulies + Coinceurs + Boulons + Mât de planche à voile + voile = 433€ soit 21 % du budget total.
- OUTILS : Pinces + Outils de ponçage + Disques + Masques + Mèches + Gants + Touillettes + Bâches + Rabot + Scie + Equerre = 153€ soit 8% du budget total.
Le temps de construction : entre 3 et 4 semaines.
REMERCIEMENTS
Un grand Merci à Nadine et Eva de nous avoir prêté leur terrain, leur garage et sacrifié un peu de leur tranquillité.
Merci à Jazz de nous avoir prêté son club, son électricité et de nous avoir parfois laissé travailler bruyamment autour de ses plongeurs.
Merci à Antoine de nous avoir prêté ses outils.
Merci au menuisier Robert de Pointe Noire de nous avoir prêté ses machines.
Merci à Hervé pour les conseils sur la résine.
Merci à Carole pour la peinture des poissons sur la coque.
Merci à Daniel de "La Voilerie du Marin" pour ses précieux conseils sur la confection de la voile.
(Mise à jour le 25 avril 2020)