Notre séjour en Gambie s’achève, il est temps de partir vers le Cap Vert.
Nous levons l’ancre lundi 16 mai 2022 en fin de matinée, après avoir effectué nos formalités de sortie auprès de l’immigration de Banjul et attendu la marée favorable.
Nous laissons derrière nous la rivière aux 100 000 filets …
MAIS
nous savons que nous pouvons encore rencontrer d’autres obstacles dans l’Océan jusqu’à ce que nous ayons atteint le grand large.
En effet, l’enjeu du début de la navigation est de franchir le plus vite possible cet interminable plateau continental qui s’étire sur plusieurs dizaines de miles (20 m de fond à 40 km des côtes, seulement 50 m de fond à plus de 100 km) et où se concentre l’activité de pêche.
Au terme d’une après-midi peu venteuse et alors que le soleil décline, nous décidons de nous aider du moteur pour faire un meilleur cap vers l’Ouest et quitter plus rapidement la zone de pêche.
Nous traversons inquiets un secteur où quelques messagers épars signalent la présence de nombreux casiers moins visibles. Malgré une veille plus qu’active, nous évitons de justesse de passer avec l’hélice en marche sur un casier dont le bout (= la corde) est relié à un flotteur qui affleure à peine sous la surface de l’eau…
Le vent revient, nous pouvons reprendre notre route à la voile soulagés d’avoir franchi la zone des 50 m de fond avant que la nuit tombe, espérant naïvement que cette frontière virtuelle nous épargnera peut-être des rencontres nocturnes avec les pirogues et leurs filets.
MAIS
C’était sans compter sur les chaluts chinois, qui raclent les fonds méthodiquement tous azimuts, à plusieurs centaines de mètres de profondeur.
Ce soir-là, la plupart d’entre eux apparaissent sur notre AIS (système d’identification automatique des bateaux) et passent loin de nous. Au moment de changer de quart et de céder la place à Jean-Luc pour aller me reposer, je lui signale une lumière au large qui n’apparaît pas sur l’AIS à surveiller, sans doute un autre chalut qui passera comme les autres loin de nous. Je suis déjà au fond de mon lit pendant que Jean-Luc finit de se préparer à l’intérieur du bateau. Lorsqu’il retourne dans le cockpit seulement quelques minutes plus tard, la lumière que je lui avais signalée au loin s’est dangereusement rapprochée, tellement rapprochée qu’il n’arrive pas à interpréter le sens dans lequel elle se dirige. Il m’appelle à la rescousse, je bondis hors de ma cabine pour me retrouver presque nez à nez avec le chalut qui nous fonce dessus. J’ai tout juste le temps d’abattre en grand (écarter le bateau de sa route) pour éviter que le chalut ne nous percute. Tout s’est passé extrêmement vite, nous n’avons pas vraiment eu le temps d’avoir peur mais nous restons un peu hébétés, coupables et contrits d’avoir manqué de vigilance au moment du changement de quart et stupéfaits qu’à aucun moment le chalut ne se soit écarté de sa route pour nous éviter. Il avançait tellement vite que nous supposons qu’il n’était pas en action de pêche même si nous avons pris soin de rester à l’écart de son sillage pour ne pas passer sur d’éventuels câbles de chalutage. Nous n’avons vu personne sur le pont et ignorons si quelqu’un était à la veille ou non…
Mardi, au petit matin, nous avons franchi la zone des 100 mètres de fond et pensons être à l’abri de toute autre mauvaise rencontre.
C’est donc d’un œil distrait que j’inspecte de temps en temps l’horizon pendant que le bateau file tout seul au près, calé sur son bouchain.
MAIS
Soudain, je lève le nez de ma tablette et j’aperçois à peine à quelques mètres de moi des flotteurs, un bidon, une perche, puis une rangée de flotteurs, puis un alignement de gros bidons … c’est un gigantesque filet qui me barre la route et que j’ai tout juste le temps d’éviter en abattant à nouveau en grand et en appelant cette fois-ci Jean-Luc à la rescousse. Il s’en est fallu encore de très peu mais nous réussissons à nous tenir à distance de ce filet que nous longeons sur plus d’1 mile de distance (2 km!) avant de contourner la pirogue à laquelle il est attaché, puis de reprendre notre route.
Note pour plus tard : les pêcheurs utilisent des filets bien au-delà des profondeurs que nous imaginions. Petits fonds petits filets, grands fonds grands filets.
Cette deuxième journée est aussi poussive que la première, faute de vent nous décidons à nouveau de nous aider du moteur pour nous écarter de la pointe de Dakar (et encore et toujours des pêcheurs qui y rôdent). Nous croisons quelques grosses pirogues dont nous nous tenons bien à l’écart puis l’horizon paraît se dégager.
- Si l’on doit bien avouer que nous avons souvent maudit intérieurement tous ces pêcheurs, nous ressentons à leur égard une immense admiration mêlée d’incrédulité : comment font-ils pour se repérer si loin des côtes en l’absence d’outils de navigation modernes et surtout en l’absence de tout repère sur l’horizon ? Comment font-ils pour retrouver leur chemin lorsque la nuit noire ou la brume de sable les enveloppe ? De quelle résistance physique et morale ils font preuve en partant plusieurs jours au large partageant parfois à 10 ou 12 la même pirogue étroite, exposée à tous les éléments, avec pour seul confort un petit brasero pour faire chauffer leur repas ! -
Le danger des filets et des casiers semblant s’être définitivement éloigné, Jean-Luc décide de remettre une ligne de traîne à l’eau.
MAIS
Très peu de temps après, alors que nous étions absorbés depuis un moment par les apparitions successives de plusieurs tortues marines, la ligne de pêche se dévide à toute vitesse.
Par réflexe, je coupe les gaz du moteur alors qu’un énorme cordage flottant apparaît le long du bateau. Brève stupeur, sommes-nous passés dans un dispositif de pêche dans lequel notre ligne se serait accrochée ? Heureusement il n’en est rien, notre ligne de pêche s’est bien accrochée à une belle dorade coryphène et l’apparition simultanée du gros cordage qui dérivait n’était qu’une coïncidence.
Tortue caouanne
Tortue caouanne
Quelques kilos de sushis en perspective
Tortues, dorade, exocets (= poisson volants), tout ça fleure bon le grand large. On se dit que c’est de bon augure pour la suite de la navigation et on pense alors s’être enfin sorti le c.. des ronces.
MAIS
Dans la nuit de mardi à mercredi, alors que nous nous aidons à nouveau du moteur pour appuyer notre progression à la voile par un vent trop faible, un bruit suspect retentit sous la coque. Jean-Luc est de quart et coupe aussitôt les gaz pour que l’hélice ne tourne plus, alors que je me réveille en sursaut et me précipite dehors pour voir ce qu’il se passe.
Après avoir craint un instant le pire (un filet coincé dans l’hélice du moteur), il s’avère que nous sommes passés sur le bout (= la corde) d’un DCP (Disposotif de Concentration de Poissons) et qu’il est coincé à l’avant de notre quille. Ce bout d’une dizaine de mètres relie en surface le DCP (une grosse bouée plate, lestée au fond de la mer ?) à un flotteur sensé contenir un dispositif lumineux. Visiblement l’installation électrique n’était pas au point et c’est ce flotteur qui refuse de glisser sous le bateau pour nous libérer de l’étreinte du bout flottant.
Nous avions autant de chance de passer sur ce DCP perdu au milieu de l’immensité de l’Océan que de gagner au Loto. Malheureusement nous ne jouons pas au Loto.
(Pour les navigateurs qui passeraient par là, voici les numéros gagnants de la cagnotte du super loto - DCP : 14°52’434 N 018°07’274 W)
Après moult manœuvres et pas mal de stress nous finissons par nous libérer de cet ultime piège sans dommages.
Mercredi matin, le vent tourne et nous virons de bord vers l’Ouest, laissant disparaître derrière nous un énorme chalut en train de remonter ses filets à la grue.
Les 36 premières heures de cette navigation auront tenu toutes leurs promesses. Nous ne nous attendions pas à être si gâtés.
Les jours suivants ne méritent pas que je m’étende plus longuement dessus car ils se sont déroulés sans autre incident : nous avons tiré un long bord de près poussés par un vent de plus en plus généreux et de plus en plus adonnant (= angle plus favorable) au fur et à mesure qu’on se rapprochait du Cap Vert.
Alors que nous avions parcouru à peine 180 miles en 2 jours, nous finirons le reste du trajet sur une moyenne de plus de 150 miles quotidiens.
Tout est donc bien qui finit bien, malgré une nouvelle avarie sur le régulateur d’allure (la perte du fletner cette fois-ci), la routine somme toute…
Vendredi 20 mai 2022, nous nous sommes amarrés devant Palmeira (île de Sal) après 475 miles parcourus en 4 jours.
Palmeira, île de Sal, Cap Vert
Cette escale a un petit air de déjà vu puisque nous y étions déjà passés il y a 5 ans… mais ça, je vous le raconterai dans un prochain article…
Pas un long fleuve tranquille..
bises