1. Faire et défaire des scoubidous de 220 m de polypropylène diamètre 18
Pour s’amarrer dans les caletas très étroites de Patagonie, il faut utiliser de longues lignes d’amarres que l’on porte à terre en complément du mouillage classique (ancre et chaîne). De grandes longueurs (4x 100 m) sont nécessaires et pour éviter que ces amarres ne pèsent trop lourd une fois gorgées d’eau, il est recommandé d’utiliser des amarres en bout (prononcer « boute ») flottant, appelé polypropylène. L’usine qui fabrique ces bouts se situe à Mar del Plata, 260 miles au Sud de Buenos Aires. Nous sommes arrivés à Mar del Plata jeudi 10 novembre 2022.
Pythéas à Mar del Plata
Plage derrière le club nautico de Mar del Plata
Otaries et lions de mer sur la plage derrière le club nautico de Mar del Plata
Nous y avons acheté 2 bobines, constituées chacune de 220 m de bout. Afin de transformer ces 2 bobines en 4 amarres d’une centaine de mètres, il a fallu que nous les déroulions intégralement pour les mesurer, les découper puis faire des épissures à chaque nouvelle extrémité. La première tentative de dérouler une bobine de 220 m sur un ponton de 25 m régulièrement envahi par des otaries de 300 kg a été un fiasco, la bobine se transformant en d’atroces scoubidous que nous avons passé de longues heures à démêler. (Heureusement nous avons su rectifier le tir pour la seconde bobine.)
Otaries sur le ponton devant Pythéas
2. Slalomer de nuit entre un troupeau de pêcheurs et une forêt d’éclairs
Nous avons quitté Mar del Plata le 15 novembre 2022. Le vent est monté crescendo si bien que la 3eme nuit, une trentaine de noeuds nous soufflait dans le dos. C’est dans ces conditions un peu musclées que nous avons dû slalomer de nuit entre une dizaine de bateaux de pêche à bâbord, tout en gardant un œil à tribord sur un horizon menaçant zébré d’éclairs. Si nous avons réussi à éviter les pêcheurs, nous n’avons pas échappé aux orages annoncés par les éclairs qui ont parachevé cette nuit chaotique en faisant tourner le vent dans tous les sens.
3. Pêcher du poisson sans attraper un albatros
Malgré le pessimisme affiché du capitaine en matière de pêche (« les Chinois ont tout pillé, y a plus rien dans l’Océan ! »), nous avions tout de même remis nos lignes à l’eau pour tenter de pêcher un poisson à la traîne. Cette fois, ce ne sont pas les sargasses qui sont venues s’accrocher dans nos leurres mais les albatros qui se sont acharnés sur cette proie pourtant non comestible voire même douloureuse pour leur bec…
Quoi de plus stupide qu’un albatros ? …
deux albatros…
4. Prendre 40 noeuds de vent dans les 40ème rugissants
Alors que nous avions initialement prévu de faire escale à Puerto Madryn, nous avons finalement décidé de continuer à naviguer vers le Sud car les météos nous semblaient favorables.
6 jours après notre départ, nous n’avons malheureusement pas réussi à éviter un coup de vent particulièrement généreux, à une centaine de milles au Nord-Est de Puerto Deseado. Le vent a soufflé à plus de 40 noeuds mais comme il venait du Nord, nous l’avions dans le dos ce qui rend la navigation plus « maniable ». La houle de 5 mètres levée par le vent l’était nettement moins et réclamait toute notre attention.
Alors que Jean-Luc s’affairait à l’avant pour remplacer la trinquette par le tourmentin, le régulateur d’allure a laissé partir le bateau un peu trop au lof. J’ai donc repris la main sur la barre pour abattre et éviter de prendre une vague trop de travers mais la force de la vague et l’angle du safran auxiliaire n’ont pas fait bon ménage et l’axe du safran auxiliaire de notre régulateur d’allure (une barre de 30 mm) a cassé net.
Jean-Luc a donc abandonné son poste à l’avant pour une opération de sauvetage acrobatique du safran du régulateur depuis la jupe arrière du bateau pendant que je m’installais derrière la barre pendant 12 interminables heures jusqu’à notre arrivée dans la baie de Nodales.
Arrivée au petit matin dans la baie de Nodales
Accueillis par un Dauphin de Commerson dans la baie de Nodales
5. Se battre avec le kelp
Le kelp est une plante aux feuilles larges et épaisses qui recouvre les fonds des baies ou forme des bancs en surface dans les zones moins profondes. Il faut donc être particulièrement vigilant à l’approche des côtes ou du mouillage pour ne pas passer dans un de ces bancs et éviter de coincer du kelp dans l’hélice car même si le risque d’abimer son arbre d’hélice est moindre qu’avec les filets de pêche gambiens, il n’est pas complètement négligeable. Lorsque l’on quitte un mouillage en remontant son ancre, on a 9 chances sur 10 de remonter un énorme paquet de kelp dont il faudra se débarrasser à coups de machette en évitant à nouveau de le coincer dans les hélices au moment de partir…
6. Réduire ou renvoyer la voile 10 fois par heure au large du Cabo San Francisco de Paula
Nous nous sommes arrêtés 2 jours dans la baie de Nodales. Une fenêtre météo de 4 jours plutôt favorable s’est ensuite présentée pour passer le détroit de Lemaire. Seul un rapide coup de vent de Sud devait nous donner un peu de fil à retordre… À l’approche de ce coup de vent, nous avons eu droit à un petit échauffement entre le Cabo San Francisco de Paula et Puerto Santa Cruz, où nous avons essuyé pendant toute une après-midi un vent de travers qui n’arrêtait pas d’osciller de 5 à 35 noeuds, nous contraignant à d’épuisantes et interminables manœuvres pour adapter au mieux la voilure.
7. Prendre 35 noeuds de vent au près dans les 50ème rugissant
A l’issue de la mise en jambe au large de Santa Cruz, nous avions enfin franchi les 50ème hurlants… Nous pensions nous être acquittés de notre droit d’entrée dans cette zone délicate mais nous avions encore à affronter le coup de vent du Sud. Après un vent plus qu’anarchique qui a usé nos nerfs, le vent violent du Sud a fini par s’établir en fin de journée. Des salves de 25-35 noeuds de vent n’ont cessé d’alterner avec des moments plus calmes, nous donnant à chaque fois de faux espoirs d’accalmie, douchés par des salves toujours plus longues et plus violentes.
Ce n’est qu’au milieu de la nuit, après une énième salve ressemblant au bouquet d’un feu d’artifice sans lumière, que nous avons enfin trouvé un peu de répit et pu confier le bateau au pilote automatique après d’interminables heures à nouveau cramponnée derrière la barre.
8. Gérer des situations stressantes à répétition
Les gens étrangers au monde de la voile considèrent souvent la mer comme un environnement hostile. C’est pourquoi ils admirent notre pseudo courage à braver les éléments car ils nous imaginent tels d’impavides et intrépides aventuriers.
Il convient donc ici de rétablir la vérité et de faire mienne une célèbre réplique de Josiane Balasko : « j’y vais mais j’ai peur ». De même, il n’est pas rare que je me demande « mais qu’est ce que je fous là ? »
Devant l’adversité, chacun réagit différemment. Pour moi, la perpective de perdre le contrôle est anxiogène si bien que je peux rester en PLS plusieurs heures avant d’affronter un coup de vent puis reprendre mes esprits et me montrer à nouveau combattive une fois dans la tourmente. Mais l’évolution de mon niveau de stress reste tout de même étroitement connectée à l’évolution de la force du vent.
Pour Jean-Luc, la gestion du stress est donc doublement plus lourde puisqu’il doit à la fois gérer son propre stress, ce qu’il arrive à faire à la perfection, mais surtout gérer le mien ce qui est parfois plus délicat. Qu’il soit ici remercié publiquement pour toute sa patience, son abnégation, son endurance dans les moments difficiles que nous affrontons.
9. Résister au froid et à l’humidité
Au fur et à mesure que nous gagnions des degrés de latitude Sud, nous perdions plusieurs degrés de température. Les nuits de quart en particulier étaient de plus en plus fraîches. Pour ne pas risquer d’accrocher des bouts dans le tuyau de cheminée de notre poêle, nous n’utilisons pas notre chauffage pendant la navigation. Lors du changement de quart, une fois extrait de la chaleur de la couette, il ne nous fallait pas plus de quelques secondes pour être parfaitement réveillés et enfiler en toute vitesse les habits les plus protecteurs contre le froid du cockpit.
Au petit matin le thermomètre à l’intérieur du bateau indiquait 10 ° C et l’hydromètre 95% d’humidité.
10. Traverser le détroit de Lemaire
Le détroit de Lemaire est un passage réputé difficile voire dangereux car on peut y rencontrer de très forts courants et des murs de vagues lorsqu’un vent violent s’oppose au courant. Il convient donc de bien choisir son moment pour s’y engager. Moins de 4 jours après être repartis de la baie de Nodales, nous avons atteint le détroit de Lemaire. Nous étions en avance par rapport à la marée favorable du lendemain matin pour nous engager dans le détroit si bien que nous avons pensé passer la nuit dans la baie de Thétis pour nous reposer un peu. Malheureusement, nous n’avons pas réussi à atteindre cette baie avant la tombée du jour et j’ai préféré passer la nuit à faire des ronds dans l’eau devant le détroit plutôt que de tenter une entrée de nuit délicate dans la baie.
Au petit matin, après une courte nuit de sommeil, le vent nous abandonnait alors que le courant contraire rendait notre progression vers l’entrée du détroit difficile.
Évidemment, c’est ce moment précis que le moteur a choisi pour ne pas démarrer. Nous avons d’abord mis ce caprice sur le compte de batteries un peu faibles car nous avions laissé le pilote fonctionner toute la nuit. Il ne restait plus qu’à attendre que le soleil se lève pour que nos batteries se rechargent et que notre moteur puisse démarrer. Mais loi de Murphy oblige, ce n’est pas le soleil qui s’est levé mais le brouillard, ruinant nos espoirs de rallumer rapidement le moteur… Après un petit moment d’inquiétude à s’imaginer traverser Lemaire dans le brouillard sans moteur en secours, Jean-Luc comme toujours a fini par trouver la solution et a rallumé le moteur en envoyant via des pinces croco de la puissance des batteries principales directement sur les bougies de préchauffage dont on suspectait depuis quelques temps déjà une faiblesse à l’allumage…
Cette péripétie mise à part, la traversée du détroit s’est ensuite déroulée sans embûche. Profitant du courant favorable de la marée descendante et d’un vent portant modéré, nous avons franchi le détroit en moins de quatre heures dans d’excellentes conditions.
Passage du détroit de Lemaire
Passage du détroit de Lemaire
11. Affronter les williwaws
Une fois le détroit franchi, nous pensions avoir fait le plus dur et être sortis d’affaire. L’arrivée à Ushuaia distant d’une centaine de milles n’était plus qu’une formalité imaginions nous naïvement. Nous ne pouvions pas être plus éloignés de la réalité. Le plus dur était à venir … Les williwaws sont des vents violents qui déferlent sans prévenir du sommet des montagnes, pouvant atteindre 80 noeuds. La surface de l’eau paraît alors « fumer » . Passé le détroit nous avons essuyé toute la journée de forts vents de travers renforcés sans doute par des williwaws qui blanchissaient la baie de Valentin puis la baie d’Aguirre, nous obligeant comme au large du Puerto Santa Cruz à d’innombrables manœuvres pour établir la bonne voilure sans nous faire coucher par de subites rafales.
12. Tirer 72 bords pour remonter le canal Beagle
Après avoir affronté les vents de travers et les williwaws nous espérions trouver un peu de protection à l’intérieur du canal Beagle comme nous le promettaient nos gribs (= fichiers météos). Il n’en fut rien et nous avons du affronter pendant 3 jours un vent, une houle et un courant de face, nous obligeant à tirer d’interminables bords ridiculement petits malgré un appui moteur. Nous avons interrompu 2 fois notre chemin de croix en nous abritant deux nuits successives dans la baie Cambaceres puis derrière la pointe Almanza.
Arrêt salutaire dans la baie Cambaceres
Qu'on en finisse!...
Approche de la punta Almanza
Approche de la punta Almanza
Les derniers 25 miles jusqu’à Ushuaia nous auront offert les vents les plus violents (rafales 40 noeuds). Jeudi 1er décembre 2022 à 17h nous nous amarrions au Club nautico Ushuaia, aussi fatigués que satisfaits d’être arrivés à temps pour accueillir notre ami Hervé qui allait nous retrouver le lendemain matin…
L'équipage au complet à Ushuaïa
Hervé, Uka et Jean-Luc au club nautico d'Ushuaïa
Pythéas amarré au club nautico d'Ushuaïa
Bravo les marins