Jamais nous n’avions été si pressés de reprendre la mer après plusieurs semaines d’immobilisme à attendre nos voiles neuves aux Canaries : Vendredi après-midi (le 11 mars 2022), nous chargions à bord la dernière voile et samedi matin nous levions l’ancre du mouillage de Las Palmas (Gran Canaria), deux jours avant que le port n’en interdise l’usage jusqu’au mois de septembre prochain (un moyen d’obliger les plaisanciers à utiliser le port ?) et qu’un coup de vent passe sur les Canaries.
Nous avons fait cap plein Sud vers une destination inconnue : le Sénégal.
Pendant 5 jours, poussés par un généreux vent au portant (= qui vient de derrière = plus facile) nous avons avalé les milles à une cadence élevée, assistés par un régulateur d’allure quasiment irréprochable. (= on n’a pas besoin de barrer)
Jamais complètement seuls au milieu de l’Océan, nous avons eu droit presque quotidiennement à une escorte de dauphins et au ballet de cargos sur l’horizon.
Le sixième jour, nous avons commencé à faire des calculs pour estimer notre heure d’arrivée. L’atterrissage de jour à Dakar est primordial car ses abords sont truffés de casiers et filets de pêche dans lesquels pourrait s’emmêler le bateau.
Nous avons été contraints de ralentir le bateau pour assurer cette arrivée de jour. Nous l’avons tellement bien ralenti que nous nous sommes fait surprendre par une baisse du vent, et nous sommes retrouvés dans la situation absurde de devoir à nouveau courir après le temps. Faute de vent, nous avons étrenné notre nouveau spi (= voile de petit temps) que nous avons porté fébrilement jusqu’au milieu de la nuit, à la lueur de la lune. Vers deux heures du matin, alors que des embarcations de pêche apparaissaient et que nous passions au-dessus de notre premier filet (sans nous accrocher par chance), nous avons estimé qu’il était temps d’affaler le spi (première fois que nous effectuions cette délicate manœuvre à bord de Pythéas…) pour finir sous génois (= voile plus manœuvrable).
Nous avons passé le reste de la nuit à slalomer entre les filets de pêche repérables par des signaux lumineux, progressant péniblement par vent faible et courant parfois contraire. Au petit matin du septième jour, nous devinions à peine les côtes tant la brume de sable était dense, rendant notre première vision du continent noir complètement jaune. La lune toujours haute dans le ciel à tribord cohabitait quelques instants avec le soleil levant à bâbord. Pendant que le vent nous poussait à nouveau confortablement, une multitude de pirogues s’est progressivement détachée sur l’horizon telle une nuée d’insectes surgissant et disparaissant subrepticement derrière la houle, puis s’écartant au fur et à mesure sur notre passage en une imaginaire haie d’honneur.
Lever de soleil et six pirogues à l'horizon
Zoom sur les six pirogues à l'horizon
Pirogue qui se dissimule derrière la houle
Lumière jaune qui baigne notre première vision de l'Afrique
Alors que nous avions dépassé l’île de Gorée et tiré nos derniers bords entre les chaluts chinois au mouillage devant Dakar, nous avons voulu allumer le moteur pour ranger les voiles avant de jeter l’ancre. Celui-ci restant dramatiquement silencieux, Jean-Luc s’est à nouveau transformé en Mc Gyver pour identifier et réparer la panne (batterie à plat) en un temps record.
Samedi 19 mars 2022 vers 11h, après 952 mn (= 1763 km) pour 7 jours de navigation, nous jetions finalement l’ancre dans la baie de Hann devant le Cercle de Voile de Dakar (CVD).
Mouillage devant la plage de Hann
Vue sur le marché aux poissons depuis le mouillage
Après un repos mérité et un peu d’ordre remis à bord pendant le week-end nous avons enfin posé le pied à terre lundi pour nous acquitter des formalités d’usage (immigration et douanes).
Nous nous attendions à être dépaysés. Ça a été le cas, en plus violent.
Le CVD se trouvant en périphérie de Dakar, nous avons pris un taxi pour nous rendre au Commissariat du Port. Notre premier contact avec cette mégalopole de plus de 3 millions d’habitants s’est donc fait au milieu d’embouteillages monstres (camions et voitures du siècle dernier, charrettes hippomobiles,… ) du bruit, du sable et de la pollution qui les accompagnent.
Les formalités ont été assez vite expédiées, à notre grand étonnement. C’était sans compter un mauvais aiguillage au bureau des douanes et une tentative de confiscation de nos passeports qui nous ont obligé à nous y reprendre une deuxième fois le lendemain (Plus de détails dans les infos pratiques compilées en fin d’article). Cela paraissait bien trop simple !
Les jours suivants nous avons exploré Dakar en arpentant le quartier du Plateau, nous faufilant au milieu des voitures faute de trottoirs praticables, d’un pas toujours soutenu et faussement assuré pour tenter d’échapper aux multiples sollicitations qui ne manquaient pas de pleuvoir sur nous dès que nous levions le nez. Étonnamment, avec nos têtes de « toubab » (= blancs) nous n’arrivions pas à passer inaperçus !
Déambulations en ville
Place de l'Indépendance
De toute part retentissait un concert de klaxons dont le sens n’est pas toujours clair : Merci ! Bonjour ! Dégage ! Taxi ? … mêlés aux percussions des vendeurs ambulants (les cireurs de chaussures qui font claquer leurs brosses en bois, les tailleurs ou rémouleurs qui agitent leur ciseaux métalliques,…), aux éclat de voix des gens qui s’apostrophent, à la mélodie des muezzins qui appellent à la prière, …
Après 5 à 6 h passées au milieu de cette cacophonie étourdissante nous rentrions légèrement assomés au CVD, où nous profitions d’un calme réparateur.
Vue sur la plage de Hann depuis le CVD
Vue sur le CVD depuis la plage de Hann
Chaque jour nous trouvions cependant un peu plus nos marques, remplacions le taxi par le TER dont la modernité tranche avec l’état des routes, apprenions nos premiers mots de Wolof et découvrions avec plaisir les saveurs douces (bissap, bouyé) ou épicées (Tieboudien ou Tiep) de la cuisine sénégalaise.
Bissap (Groseille pays aux Antilles, Fleur d'hibiscus en France) dont on tire un excellent jus par infusion
Bouyé (prononcez "Boui"), pulpe du pain de singe du Baobab dont on tire égalament un excellent jus
Tieboudien boulettes
Pensant échapper au tumulte de la capitale, nous avons pris le ferry pour aller visiter l’île de Gorée, haut lieu de mémoire de la traite des esclaves. Bien inspirés nous y sommes allés le jour des sorties scolaires, ce qui a rendu le calme de cette escapade tout relatif puisque nous nous sommes retrouvés au milieu de quelques centaines d’enfants qui avaient oublié d’être fatigués.
Île de Gorée
Place sur l'île de Gorée
Ruelle de l'île de Gorée
Maison des Esclaves sur l'île de Gorée
Ô surprise, ici encore les vendeuses de bijoux et de souvenirs ne manquaient pas de nous repérer et de nous solliciter avec plus ou moins d’insistance. Autre spécialité locale : des sortes de maracas sénégalais reliés à une ficelle dont les vendeurs saisissent la moindre occasion pour vous en faire une démonstration très sonore. Le dernier à me les avoir agités près des oreilles alors que j’attendais depuis plus d’une heure l’accès à la maison des esclaves (en raison de l’affluence exceptionnelle des scolaires) a été à deux doigts de découvrir si ses maracas étaient comestibles ou non.
Après avoir fait le plein de gaz, d’eau et un dernier avitaillement au marché Castor,
Marché Castor
nous avons repris la mer samedi 26 mars 2022 pour changer complètement de cadre et nous rendre dans le delta du Saloum, à 180 km au Sud de Dakar.
La suite dans un prochain article...
INFOS PRATIQUES POUR LES NAVIGATEURS
Formalités administratives
ENTRÉE
1.Passage au commissariat du port pour l’équipage.
Normalement, l’équipage a le droit de rester 90 jours au Sénégal. Bizarrement, lors de notre passage on nous a dit qu’en raison de la situation exceptionnelle liée au Covid, nous n’avions droit qu’à 30 jours (ce qui a priori ne reposait sur aucune réalité mais seulement sur une lubie du Commissaire…)
Le Commissariat du Port a également voulu garder nos passeports, nous disant que nous devions faire nos formalités de sortie à Dakar et que nous les récupérerions alors. En échange ils nous ont donné un papier tamponné expliquant que nos passeports étaient en dépôt chez eux. Malgré nos protestations, ils n’ont pas voulu nous les rendre.
Le lendemain nous y sommes retournés, expliquant que nous avions besoin de nos passeports pour faire du change à la banque, pour acheter une carte de téléphone, pour faire une procuration à l’ambassade, pour obtenir notre passavant auprès des douanes. Rien n’y a fait. Ils étaient prêts à nous le rendre le temps de ces formalités administratives mais nous devions toujours leur rapporter après. Ce n’est QUE LORSQUE NOUS AVONS FAIT PART DE NOTRE INTENTION D’ALLER EN CASAMANCE que la situation s’est débloquée.
Soit parce qu’il faut traverser la Gambie pour aller en Casamance, soit parce que la Casamance est militairement contrôlée, soit pour une toute autre raison encore, l’argument de la Casamance semble être le seul valable pour garder son passeport avec soi. Donc un unique conseil à retenir : lors de votre passage au Commissariat du Port, dites-leur que vous avez pour programme de descendre en Casamance dès le lendemain, même si ce n’est pas tout-à-fait vrai, pour être sûr de conserver votre passeport.
Aucun frais pour les formalités au Commissariat du Port.
2. Passage à la douane pour le « passavant » du bateau. Après les formalités d’immigration au Commissariat du Port , vous devez vous rendre au bureau des douanes pour obtenir un « passavant » pour le bateau. Ce document est une sorte d’autorisation d’importation temporaire du bateau au Sénégal. Il est délivré pour une période de 1 mois. Il coûte 5000 francs CFA (7€). Pour une raison mystérieuse, lors de notre passage, le douanier nous en a fait cadeau. Il peut être renouvelé pour 1 mois supplémentaire. On peut également faire la demande d’une ATE (autorisation temporaire exceptionnelle) qui dure 6 mois mais nous n’avons testé aucune de ces deux options. Attention, au Commissariat du Port, on nous a indiqué le mauvais bureau de douanes, celui situé juste derrière le Commissariat du Port. Là-bas, personne ne savait ce qu’on venait y faire, et pour cause. Le bon bureau de douanes se situe au môle 10, il faut soit reprendre le taxi soit marcher une petite demi-heure le long d’une grande route.
SORTIE
Malgré ce que nous avait affirmé le Commissariat du Port de Dakar, il est possible de faire sa sortie du Sénégal ailleurs qu’à Dakar. Nous avons fait la nôtre au Poste de Police des Frontières à Elinkine en Casamance. Il faut passer les voir lorsque vous arrivez en Casamance pour leur signaler votre présence, puis repasser les voir au moment de la sortie. Cela ne nous a rien couté et a été très rapide. D’autres bateaux ont paraît-il eu à payer un bakchich, cela doit dépendre de l’officier sur lequel vous tombez?
Navigation
Aucune difficulté particulière si ce n’est l’abondance de casiers ou filets rendant toute navigation de nuit périlleuse et toute navigation de jour vigilante.
De nuit, s’écarter à au moins 20 miles des côtes pour être plus tranquille.
Lors de notre passage en mars-avril, nous avons eu un régime de vent très stable oscillant du NO au NE, entre 5 et 20 noeuds.
Le CVD
Au CVD, vous trouverez un excellent Wifi et quantité de gens prêts à vous rendre service, qui pour remplir votre bouteille de gaz, qui pour remplir les bidons d’eau, qui pour faire votre lessive, coudre des drapeaux,…
Un passeur peut vous débarquer de votre mouillage à la plage tous les jours à des horaires plus ou moins réguliers.
Les tarifs
Point Covid
Aucun preuve de vaccination ni test PCR ou antigénique ne nous a jamais été demandé. Dans certains magasins, transports ou administrations, le port du masque était encore obligatoire.
Divers
Bons plans à Dakar :
- Acheter une carte Orange pour avoir du forfait internet. Les prix sont peut-être plus chers que d’autres opérateurs mais il paraît que c’est celui qui offre le meilleur réseau un peu partout au Sénégal. Nous n’avons pas eu à nous en plaindre.
- Prendre le TER à la station de Hann (15 minutes à pied du CVD) qui vous conduit en centre ville pour 500 francs CFA. A notre goût plus agréable et plus économique que le taxi.
- Aller manger un plat sur les bancs autour du marché Karmel (1000 francs CFA).
- Éviter de faire l’avitaillement au marché Karmel où vous serez pris pour un toubab et un peu harcelés. Préférez le marché Castor, très bien achalandé avec de très bons prix.
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