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USA (Part two) : Six feet away...

Dernière mise à jour : 5 mars

Nous remontons la côte Est des USA depuis un peu plus d’un mois. Alors que nous achevons le premier tronçon le long de l’Intracoastal Waterway (cf précédent article), les nouvelles sont mauvaises d’où qu’elles viennent (cf Stéphane Eicher).

LE Coronavirus - n’en déplaise aux académiciens qui voudraient qu’on féminise ce mot - se répand aux quatre coins du monde. Alertés par la tournure des événements en Europe, nous nous confinons à bord de Pythéas de manière volontaire sans attendre d’y être contraints par de futures décisions certainement très éclairées de Donald. 


C’est donc un article sous la forme d’un journal de confinement que je vous propose, puisque cela semble être la mode de ces derniers temps, après celle du masque.



SEMAINE 1 (16 mars - 22 mars)


Mardi 17 mars : La France stupéfaite entame son premier jour de confinement. Macron promet des masques pour tous les soignants.


Le même jour, en prévision de notre propre confinement nous faisons un énorme avitaillement au supermarché de Cheasapeake, Virginia. Sans surprise, les rayons de gel désinfectant, de pommes de terre, de nouilles chinoises, de boîtes de thon et bien sûr de PQ ont été dévalisés. Heureusement nous n’avons aucune difficulté à trouver des fruits et légumes…

Plus inquiétant, pour défendre leur stock de PQ les Américains prennent d’assaut les armureries.

On n’est pas bien là chez tonton Sam, à choisir entre vendre son rein ou se faire soigner, à compter sur le bon sens commun de chacun et la bienveillance mutuelle, à s’en remettre à l’intelligence et la compétence du plus fou d’entre eux ?



SEMAINE 2 (23 mars – 29 mars)


En France les mesures de confinement se durcissent et les hôpitaux débordés envoient des malades en Allemagne.

Aux USA, New-York devient l’épicentre de la pandémie. Trump espère déconfiner à Pâques.


Quasiment partout dans le monde, les frontières sont fermées, les voiliers ont l’interdiction de naviguer et sont immobilisés au mouillage ou rapatriés dans des marinas. Nos amis Maurice et Manuela sont assujettis à une quarantaine de 14 jours à Panama après pourtant une navigation de 10 jours au large.

Lydia et Patrice au mouillage à Marie-Galante sont surveillés régulièrement par des hélicoptères. George et Nicole aux Galapagos n’ont le droit de quitter leur bateau qu’à tour de rôle et aucune activité dans l’eau autour du voilier n’est autorisée.

Étonnamment aux États-Unis nous sommes toujours libres de nos mouvements. Nous remontons depuis quelques jours la baie de Chesapeake, le cœur et l’esprit un peu lourds… Combien de temps allons-nous être autorisés à naviguer, quelles restrictions vont nous être imposées ? Que faire du bateau si nous devions rentrer en France ?


Lever de soleil dans la baie de Chesapeake, Great Wicomico River, Fleeton point


Phare à l'entrée de la Great Wicomico River, Fleeton point


Chesapeake bay, Patuxent River, Sam Abel Cove


Une météo maussade accompagne ces idées sombres et nous restons à l’abri du mauvais temps dans une baie retirée .

Au-dessus de nos têtes un ballet incessant d’hélicoptères et d’avions brise le silence, me laissant imaginer tantôt que les États-Unis entrent en guerre, tantôt que nous sommes recherchés pour avoir enfreint une quelconque restriction. J’apprendrai plus tard que nous sommes simplement à proximité d’une base militaire d’entraînement.



A quelques miles de là nous nous rendons à Solomons Island où nous voulons refaire le plein de fuel avant que tout soit fermé.

L’endroit est accueillant, nous pouvons facilement mettre le pied à terre et surtout nous avons un bonne connexion internet. Nous décidons de prolonger l’escale.



La lecture des journaux est toujours aussi anxiogène. L’absence totale de visibilité sur notre sort futur également. Je fais des crises d’hypocondrie. J’ai déjà attrapé le coronavirus une bonne dizaine de fois depuis le début du confinement. Heureusement, je ne suis pas contagieuse et Jean-Luc garde la tête froide.



SEMAINE 3 (30 mars - 5 avril)


En Europe pointent les premiers signes d’une stabilisation de la pandémie.

En France, la controverse autour de l’efficacité de l’hydroxychloroquine bat son plein.

Aux USA, les journaux dénoncent la fabrication de respirateurs défectueux, un retard coupable dans le lancement d’une campagne massive de tests, des tergiversations sur le port du masque. Same Same…


Le couple de navigateurs allemands que nous avions rencontré en Caroline du Sud a décidé de laisser leur bateau dans une marina aux États-Unis et de rentrer par un des derniers avions pour l’Allemagne.

Nous, nous sommes toujours à Solomons, Maryland. Nous sommes les seuls voiliers au mouillage, avec pour uniques voisins des aigles pêcheurs, des canards et des oies sauvages que Jean-Luc rêve d’attraper.



Le gérant de la marina devant laquelle nous sommes mouillés nous autorise à utiliser son adresse pour nous faire livrer des colis. Nous en profitons pour compléter l’équipement du bateau.


Nouvelle machine à coudre sailrite de compétition


Mercredi 1er avril : nous faisons un tour à terre nous dégourdir les jambes. 30 minutes suffisent pour faire le tour du patelin constitué de jolies maisons coquettes, de quelques commerces (tous fermés) et d’une demi-douzaine de marinas.



Solomons, Maryland


Harbour Island Marina, Solomons, Maryland



A bord, le temps passe vite. Jean-Luc travaille activement sur notre nouvelle machine à coudre. Ses premières créations : des masques en tissu car aux États-Unis aussi, le gouvernement a parfaitement anticipé la crise et les masques sont sur le point d’arriver.


Je recommence à lire un peu les journaux, guettant les bonnes nouvelles : Drôme : Une attaque au couteau d’un fou fait 2 morts et 5 blessés. Je laisse tomber les journaux.


Jeudi 2 avril : Depuis quelques jours le vent souffle très fort et nous surveillons que notre ancre ne dérape pas car le mouillage est étroit et nous n’avons pas pu étaler autant de chaîne que nécessaire.

Pas très loin de nous un peu plus au nord dans la baie, une mère et son fils de 8 ans sont montés sur un canoë pour aller chercher le ballon qu’ils avaient fait tomber dans l’eau. Entraînés par le vent dans la baie de Chesapeake ils n’arriveront jamais à regagner le rivage. Ils appartenaient à la famille Kennedy. La malédiction plus forte que la pandémie.



SEMAINE 4 (6 avril - 12 avril)


En Guadeloupe, un couvre-feu diurne est instauré pour dissuader tout rassemblement au moment des fêtes de Pâques.

Aux États-Unis, des études mettent en avant un taux de contamination et de mortalité disproportionné chez les populations noires. (Pour Jean-Luc , c’est bien sûr un complot des Américains qui refont le coup des couvertures aux Indiens.)

Chez les démocrates, Bernie Sanders se retire à la faveur de Joe Biden de la course à l’investiture pour l’élection présidentielle du mois de novembre.


Lundi 6 avril : deuxième sortie pour aller au Shipchandler (magasin d’équipements pour le bateau) qui par chance a eu le droit de rester ouvert, à condition qu’il n’y ait pas plus de 10 clients à l’intérieur. Des vitres en plexiglas ont été installées au comptoir. Par chance encore, le liquid store (aux Etats-Unis, l’alcool est vendu dans des magasins spécialisés) se trouve à côté du shipchandler, ce qui nous permet de tester différentes bières et vins nationaux, faute de pouvoir visiter autrement le pays.





Dans la rue, personne ne porte de masque mais tout le monde s’évite poliment au moment de se croiser. Surréaliste !


Jeudi 9 avril : on fête entre nous l’anniversaire de Jean-Luc, avec quelques langoustes de Cuba et un peu de Champagne de Guadeloupe. Pas d’excès cependant car le vent continue de souffler très fort et il faut encore surveiller l’ancre… En guise de cadeau d’anniversaire, une rafale un peu plus forte que les autres nous offre une séance nocturne de remontage d’urgence de l’ancre et re-mouillage dans des rafales de plus de 35 nœuds de vent (toujours selon mon pifomètre) pour éviter de finir le cul dans la marina.

Il paraît que ces vents violents à cette période de l’année sont inhabituels ici. Mais qu’est-ce qui ne l’est pas en ce moment ?


Dimanche 12 avril : un coup de vent encore plus violent que les précédents est annoncé (45-50 nœuds). On décide de prendre une place au quai pour 24h.

Expédition au supermarché un peu plus de 3 semaines après le précédent avitaillement. Inauguration de nos masques en tissu à l’intérieur du magasin. Une bouffée d’angoisse et de tristesse m’envahit les premières secondes (tout ça est donc bien réel) et puis je m’y habitue, malheureusement. Moi qui m’exprimait timidement en Anglais de peur de ne pas me faire comprendre, le challenge va être encore plus dur à relever maintenant avec un masque sur la bouche.

Aux caisses, des marquages au sol matérialisent les distances de sécurité entre les clients : six feet (1,83m) .



SEMAINE 5 (13 avril - 19 avril)


En France, Macron promet des « jours meilleurs » et annonce le début du déconfinement le 11 mai.

Aux Etats-Unis, Trump suspend les financements à l’OMS.


Lundi 13 avril : Le coup de vent est passé mais on décide de prolonger notre séjour au quai pour un mois. Le gérant nous a fait un bon prix, ça simplifiera notre quotidien et nous allégera l’esprit, sans parler des douches chaudes à volonté.

Nous pourrions continuer à naviguer, aucune restriction ne semble s’appliquer aux personnes qui comme nous habitent sur leur voilier. Mais ne sachant pas comment les choses peuvent évoluer d’un jour à l’autre, nous préférons temporiser et interrompre notre périple dans un environnement que nous apprécions plutôt que continuer à nous déplacer avec en permanence la menace d’être confinés dans un endroit que nous n’aurions pas choisi.



Dimanche 19 avril : on est convié à notre premier barbecue en compagnie de quelques occupants de la marina.

Jean-Luc dont le running gag depuis notre arrivée aux USA est de se plaindre de ne pas avoir croisé d’indiens pourra maintenant dire qu’à défaut de peaux-rouges, il a rencontré des Rednecks. (Traduction littérale : des bouseux. Aucun jugement péjoratif de ma part, c’est ainsi qu’ils se nomment eux-mêmes entre eux)



SEMAINE 6 (20 avril - 26 avril)


En France, les Festivals annoncent leur annulation ou leur report les uns après les autres.

Aux USA, des manifestations éclatent pour protester contre les mesures de confinement. Trump encourage ces protestations.

Il fait aussi tout son possible pour aider les médecins à trouver un remède. Parmi ses propositions : cure d’UV ou désinfectant en injection. Il dira plus tard qu’il faisait une blague aux journalistes. Certains américains n’ont pas saisi le 2nd degré et sont morts pour avoir suivi ses recommandations (la sélection naturelle ?)



A Solomons, les drapeaux TRUMP 2020 continuent pourtant de fleurir à droite à gauche.

Au supermarché, cette fois tout le monde porte un masque. Certains portent même des gants. Les rayons de maïs à popcorn et de pains à hamburger sont vides. Le mode survie version américaine.



Samedi 25 avril : J’ai eu une conversation confondante avec un soudeur aujourd’hui :

« - Vous avez le coronavirus vous aussi en France ? 

 - ?!?!?. Oui, en France, comme partout dans le monde, vous savez cette étendue de terre qui borde les États-Unis…

- J’ai fait récemment un travail pour un couple qui travaille à la CIA et ils m’ont dit que les Chinois préparaient ça depuis très longtemps et que ce qu’on vivait en ce moment n’était qu’un amuse gueule, ce qui va suivre sera bien pire, qui sait une troisième guerre mondiale ? 

- Non sans blague. Allez, on se tient au courant !

- God bless you ! »

Fucking Rednecks.


Mes crises de coronavirus se sont espacées et tendent même à disparaître. La vie au quai est agréable et les journées passent toujours aussi vite, bien remplies par de multiples travaux sur le bateau.

Seule la perspective de notre avenir reste nébuleuse.

Nos projets initiaux étaient de traverser des USA vers les Açores en juin, de passer l’été là-bas puis de caréner le bateau au Portugal en automne. Nous aurions laissé Pythéas au sec quelques mois à Faro et en aurions profité pour rentrer voir nos amis et familles en France en hiver 2020.

Tout est maintenant fortement compromis puisque toutes les frontières sont fermées. Retourner au Sud n’est pas envisageable à cause de la saison cyclonique, monter au Nord nous obligerait à passer l’hiver sous des latitudes inhospitalières, rester aux Etats-Unis dépendrait d’un hypothétique renouvellement de notre visa qui expire en août et a-t-on vraiment envie de rester dans ce pays enlisé dans la crise et dirigé par un fou furieux ?


L’option de traverser vers les Açores reste en tête de liste.


SEMAINE 7 (27 avril au 3 mai)


En France, on apprend que l’étude européenne Discovery sur la recherche d’un remède tourne au fiasco.

Aux USA, plus de 30 millions d’américains se sont inscrits au chômage depuis ces 6 dernières semaines.


A Solomons, il y a davantage de gens dans la rue, et presque plus personne ne prend la peine de s’écarter lorsqu’on se croise. Certains bars/restaurants semblent même avoir ré-ouvert pour la vente à emporter.


Un ami médecin nous a communiqué des nouvelles préoccupantes : Le coronavirus est bel et bien une vraie saloperie (si on pouvait encore en douter) et il faut s’attendre à de futures phases de reconfinement…

Si cela bouscule à nouveau nos tentatives d’élaborer un plan de route pour les prochains mois, nous décidons néanmoins de traverser vers les Açores. Quittes à être coincés quelque part, on préfère l’être du côté européen plutôt que du côté américain .

Cela faisait presque un an que je me réjouissais d’annoncer la nouvelle de notre passage en France à mes parents mais je me retenais pour leur réserver la surprise lors de leur anniversaire au mois de mars. Finalement, l’annonce aura été encore un peu plus tardive, non pas sur le ton de la célébration mais sur le ton du doute conjugué au conditionnel…



SEMAINE 8 (4 mai - 10 mai)


La France se prépare au déconfinement entre crainte et impatience. La réouverture des écoles en particulier fait débat.

Aux USA, malgré des modèles qui prédisent le double de contaminations d’ici le 1er juin, Trump incite les États à se déconfiner.


Vendredi 8 mai : nous sommes conviés à l’anniversaire de Brant, un des occupants de la marina, l’occasion de déguster la spécialité du Maryland : les crabes.






Samedi 9 mai : décrassage avec Pablo pour notre première grande marche dans la nature depuis de longs mois.


Pablo, notre bienfaiteur


Tortues d'eau douce


Les falaises de Calvert, Maryland

Elvis, le compagnon de Pablo


Passerelle vers nulle part, ou la métaphore de notre situation...


On compte les jours avant notre départ prévu la semaine prochaine, et on s’active pour finaliser nos derniers chantiers : électronique (merci Jérôme pour ton support technique !), mécanique, et toujours et encore couture.

SEMAINE 9 (11 mai - 17 mai)


Lundi 11 mai : 1er jour de déconfinement progressif en France.

Aux États-Unis, chaque état déconfine à son propre rythme, malgré les avertissements des scientifiques. Trump promet de relancer l’économie. Comment ne pas lui faire confiance.


Les travaux s’accélèrent à bord du Pythéas. On veut profiter de nos derniers jours au quai pour réparer nos voiles et finir de coudre notre « Jardin d’hiver. »








Notre bail le long du quai s’achève le vendredi 15 mai. Par tradition Jean-Luc refuse de partir un vendredi, nous retournerons au mouillage devant la marina un jour supplémentaire pour partir un samedi.


Jeudi 14 mai : nouveau barbecue pour fêter notre départ avec nos voisins de la marina : Kevin, Brant, Hanson et Brigitte, Pablo, et Lenny le propriétaire des lieux qui prolonge gracieusement notre bail au quai jusqu’à samedi.

Vendredi 15 mai : c’est le premier jour de déconfinement au Maryland.

La baie qui était restée quasiment déserte depuis le début de notre séjour est envahie par un nombre impressionnant d’embarcations en tous genres. Il paraît que l’affluence est encore plus importante en « temps normal ».

Pour nous c’est une intense journée de travail afin de terminer les derniers préparatifs de notre départ. Le soir, Pablo vient nous rendre une dernière visite, rajoutant un peu plus de sel sur les frites de la veille déjà très salées (comprendra qui comprendra).


Samedi 16 mai : Nous reprenons notre progression vers le Nord, retour pas tout à fait à la normale car nous avons renoncé à visiter les grandes villes que nous croiserons sur notre route mais nous voulons profiter des quelques semaines qui nous restent avant la transat pour approfondir notre découverte des USA qui gardera quoi qu’il arrive un petit goût d’inachevé…



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